La médecine personnalisée permet d’éliminer un médicament inutile chez deux enfants

3 February 2012

Grâce à l’analyse génomique par des chercheurs du CHU Sainte-Justine et de l’Université de Montréal, deux enfants atteints d’insuffisance surrénalienne, d’un type jusqu’ ici inconnu, ont vu éliminé de leur ordonnance un médicament qui leur était prescrit à vie depuis 14 ans.

Il s’agit d’un médicament ayant pour effet secondaire l’hypertension. À l’échelle d’une vie, cet ajustement de traitement représente une économie approximative de 10 000 $ par patient en frais de médicaments et d’analyses.

« C’est un cas concret de médecine personnalisée, aujourd’hui rendu possible par les nouvelles techniques de génomique », a déclaré Dr Mark Samuels, premier auteur d’un article publié sur le sujet en janvier 2013 dans Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism, avec Dr Johnny Deladoëy comme auteur principal.

Il y a 14 ans, les deux enfants ont été diagnostiqués d’insuffisance surrénale, c’est-à-dire un déficit de la sécrétion d’hormones qui contrôlent le taux de sucre et de minéraux dans le sang. Après avoir séquencé la partie du génome qui code les gènes des deux patients, les chercheurs ont identifié le gène POMC comme responsable de la maladie. Le repérage de ce gène leur a permis de conclure avec certitude que seule la production du cortisol faisait défaut, l’hormone qui régule la glycémie. Ils ont donc prescrit une poursuite du traitement au cortisol, tout en éliminant, sans risque pour la vie des patients, la fludrocortisone, l’hormone de remplacement prescrite jusque-là pour contrôler la régulation des minéraux.

En plus de réduire les risques d’hypertension engendrés par la fludrocortisone et de soulager psychologiquement les patients et leur famille quant à la l’origine de la maladie, la découverte des chercheurs a permis d’alléger de 10 000 $ la facture de santé relative aux patients atteints de ce type d’insuffisance surrénale. En effet, sur une durée de vie de 70 ans, c’est le montant auquel s’élève le traitement à la fludrocortisone et les analyses sanguines requises chez les patients qui le reçoivent.

Si les médecins n’ont pas modifié le traitement plus tôt dans la vie des enfants, c’est non seulement que la suppression d’une des hormones de remplacement risquait d’avoir une issue fatale, mais aussi que l’analyse du génome entier ayant mené au diagnostic était impensable il y a encore quelques années. «En raison des coûts astronomiques associés à une analyse sur l’ensemble du génome à l’époque, il fallait cibler certains gènes potentiellement responsables de la maladie, et n’analyser que ceux-là, au risque de ne pas trouver le bon gène », explique Dr Samuels, chercheur en génétique humaine. Aujourd’hui, la baisse des coûts d’une analyse génomique rend abordable l’analyse du génome en entier.

Description de l’étude

Les enfants dont il est question dans l’étude ont été hospitalisés respectivement à l’âge de 4 mois et de 4 ans pour hypoglycémie et convulsions. Un diagnostic d’insuffisance surrénale a été posé et les deux enfants ont été sauvés par administration d’hormones de remplacement. La concentration sanguine d’ACTH (l’hormone hypophysaire qui contrôle la surrénale) était très élevée, ce qui semblait indiquer que le problème venait de la surrénale. La surrénale produit deux hormones vitales: cortisol pour réguler la glycémie et aldostérone pour contrôler les minéraux. Dans le doute, en cas d’insuffisance surrénale, les deux types d’hormone (cortisol et fludrocortisone, un analogue de l’aldostérone) sont prescrits. Toutefois, un traitement à la fludrocortisone peut entraîner des effets secondaires comme l’hypertension.

Espérant mieux cibler le traitement des patients, les chercheurs se sont attelés à remonter la piste jusqu’à la cause précise de l’insuffisance surrénale. Ils ont procédé à une analyse de la partie du génome entier qui code les gènes, dans l’ADN des patients (le vrai séquençage pangénomique reste toujours trop cher pour l’instant). À leur surprise, l’analyse a indiqué une mutation de POMC (le gène qui code pour l’ACTH) chez les deux patients. Ils ont alors demandé à Dr Michel Bouvier, de l’Université de Montréal, et à Dre Nicole Gallo-Payet, de l’Université de Sherbrooke, de valider la découverte en testant sur des cellules in vitro deux ACTH synthétiques produites pour l’occasion: l’une normale et l’autre portant la mutation observée chez les deux enfants. Ces études ont montré que, bien que détectée à des concentrations élevées dans le sang, l’ACTH mutante était inactive. En raison de limites techniques, le test diagnostique standard détectant l’ACTH n’était pas en mesure de distinguer entre la forme normale et la forme mutée retrouvée chez les patients.

« C’est l’analyse génomique qui nous a permis de repérer le gène POMC. Comme les analyses sanguines ne rendaient pas ce gène suspect, sans le recours à cette nouvelle technique, nous serions carrément passés à côté de la cause de la maladie », conclut Dr Deladoëy, médecin et chercheur en endocrinologie et diabétologie.

Ce cas de médecine personnalisée rendu possible grâce aux nouvelles techniques de génomique n’est que la pointe d’un iceberg qui cache des centaines de cas de patients dont les chercheurs réussissent à affiner le traitement.

 

 

 

 

 

 

 

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